Trois
lettres
de
Poilus
Guillaume
Apollinaire :
Il
y
a
Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
Il y a dans le ciel six saucisses pareilles à des asticots
dont il naît des étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi
Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne
Il y a que je languis après une lettre qui tarde
Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète
Il y a une jeune fille qui pense à moi à Oran
Il y a une batterie dont les servants s'agitent autour des pièces
Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé
Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme le bleu horizon dont il est vêtu et avec
quoi il se confond
Il y a Vénus qui s’est embarquée nue dans un havre de la mer jolie pour Cythère
Il y a les cheveux noirs de mon amour
Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
Il y a des Américains qui font un négoce atroce de notre or
Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l'Atlantique
Il y a à minuit des soldats qui scient les planches pour les cercueils
Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico
Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix partout de çi de là
Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie
Il y a les longues mains souples de mon amour
Il y a un encrier que j'avais fait pour Madeleine dans une fusée de 15 centimètres et
qu'on n'a
pas laissé partir
Il y a ma selle exposée à la pluie
Il y a les fleuves qui ne remontent pas leurs cours
Il y a l’amour qui m’entraine avec douceur vers Madeleine
|
|
«Et
les
autres,
tous
les
autres,
que
pouvaient-ils
bien
écrire
à
longueur
de
journée,
qu'ils
allaient
bientôt
venir
en
permission
?
(...)
On
voyait
les
hommes
s'égailler
dans
les
tranchées
à
la
recherche
d'un
petit
coin
confortable
et
s'isoler
pour
pondre,
et
se
mettre
à
gratter,
non
pas
à
cause
des
poux
qui
les
dévoraient,
mais
pour
attraper
une
idée
ou
un
mot
entre
le
pouce
et
l'index,
parfois
un
homme
laissait
tout
de
même
son
stylo
pour
se
mettre
très
sérieusement
à
la
chasse
aux
poux.
On
le
voyait
alors
se
déshabiller,
inspecter
les
coutures
de
son
pantalon
ou
les
plis
de
son
ventre
et
on
entendait
pousser
des
jurons
de
colère
quand
il
écrasait
une
colonie
de
poux
et
de
larves
dans
l'ourlet
de
son
pantalon
et
des
cris
de
triomphe
quand
il
réussissait
à
s'arracher
un
morpion
de
la
peau
ou
du
ventre.
Il
reprenait
alors
sa
lettre
en
surveillant
son
linge
intime.
Qu'est-ce
qu'un
pauvre
bougre
pouvait
bien
écrire
à
sa
femme
ou
à
sa
dulcinée
dans
de
pareilles
conditions
sinon
de
la
poésie
?
»
Blaise
Cendrars
durant
la
guerre
Il me semble que ma vie entière sera éclaboussée de ces mornes horreurs, que ma mémoire salie ne pourra jamais oublier. je ne pourrai plus jamais regarder un bel arbre sans supputer le poids du rondin, un coteau sans imaginer la tranchée à contre-pente, un champ inculte sans chercher les cadavres. Quand le rouge d'un cigare luira au jardin, je crierai peut-être : " Eh ! le ballot qui va nous faire repérer ! ... " Non, ce que je serai embêtant, avec mes histoires de guerre, quand je serai vieux !Mais serai-je jamais vieux ? On ne sait pas...
|