Guillaume Apollinaire      (1880 - 1918)

 

Poème sans titre  

La nuit descend comme une fumée rabattue
Je suis triste ce soir que le froid sec rend triste
Les soldats chantent encore avant de remonter
Et tels qui vont mourir demain chantent ainsi que des enfants
D'autres, l'air sérieux, épluchent des salades
J'attends de nouveaux poux et de neuves alertes
J'espère tout le courage qu'il faut pour faire son devoir
J'attends la banquette de tir
J'attends le quart nocturne
J'attends que monte en moi la simplicité de mes grenadiers
J'attends le grog à la gnole
Qui nous réchauffe
Dans les tranchées
La nuit descend comme une fumée rabattue
Les lièvres et les hases bouquinent dans les guérets   

 

0n sait qu'Apollinaire, sous-lieutenant dans l'infanterie, fut frappé à la tempe par un éclat d'obus en mars 1916 et dut être trépané deux fois.  Il mourut de la grippe, dite espagnole, en novembre 1918.

 

La nuit d'avril 1915
 

À L. de C.-C.

 Le ciel est étoilé par les obus des Boches
    La forêt merveilleuse où je vis donne un bal
    La mitrailleuse joue un air à triples-croches
    Mais avez-vous le mot
    Eh ! oui le mot fatal
    Aux créneaux Aux créneaux Laissez là les pioches

    Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons
    Cœur obus éclaté tu sifflais ta romance
    Et tes mille soleils ont vidé les caissons
    Que les dieux de mes yeux remplissent en silence
    Nous vous aimons ô vie et nous vous agaçons

    Les obus miaulaient un amour à mourir
    Un amour qui se meurt est plus doux que les autres
    Ton souffle nage au fleuve où le sang va tarir
    Les obus miaulaient
    Entends chanter les nôtres
    Pourpre amour salué par ceux qui vont périr

    Le printemps tout mouillé la veilleuse l'attaque
    Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts
    Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque
    Couche-toi sur la paille et songe un beau remords
    Qui pur effet de l'art soit aphrodisiaque
    Mais orgues aux fétus de la paille où tu dors
    L'hymne de l'avenir est paradisiaque


   
   

 

Gil Vidal  

14-18 et un Noël !

 Il fait froid, ils sont fatigués
Depuis plusieurs semaines, nombreux, ils sont tombés
Frères morts et vivants tous sont enterrés
Et Noël, d'ici peu, va devant eux se présenter !

Mais voilà la terrible guerre a déjà débuté
Comment la nativité peut-elle ainsi se respecter ?
C'est du moins ce que beaucoup en ce temps pensaient !
Et pourtant en ce Noël, le miracle sur les hommes s'est présenté !

Soldats de deux fronts qui par tranchées étaient séparés
Pour ce jour de Noël ont tous voulu vivre en paix !
Et l'incroyable chose sur la terre boueuse s'est révélée
Les soldats ennemis ensembles soudain fraternisaient !

Tout-à-coup, ces hommes découvraient
Qu'en la naissance du Christ chacun d'eux croyait !
Tous reconnaissaient cet être de bonté et de paix
Et durant quelques heures ils ont ses principes appliqués !

Alors, aujourd'hui comment peut-on expliquer ?
Qu'une fois l'événement heureux passé !
Tous ces frères d'un jour retournèrent se massacrer !
Et pourquoi cette trêve peu d'hommes en ont parlé !

Pourtant en ce temps éloigné du passé
Il me plaît de penser et d'imaginer
Qu'une guerre aurait peut-être pu s'arrêter !
Ce jour de Noël où les hommes décidèrent de se respecter !

Et que dire du reste de notre humaine histoire !
Où, après un premier épisode de guerre noire
Une deuxième horreur fut gravée sur bien des mémoires !
Cela est vraiment arrivé, vous pouvez le croire !

Et pourtant un jour de Noël des hommes comprirent le message
Celui qui venait du plus profond de nos âges
Celui qui pour la paix montrait l'unique passage !
Pourquoi les hommes n'ont pas continué après Noël à être sage ?

 

Fiche de travail                                                             Retour