Julien Vocance : Des haïku à propos de la guerre de 14-18
par Alain Kervern (France)

Vous trouverez ici une présentation de ce genre de poème avec quelques exemples. En bas de cette page il y a un lien où vous trouverez beaucoup d’autres Haïku.

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Voici quatre-vingt ans que chaque année, au mois de novembre, est célébrée la fin de ce qu'on a appelé la Grande Guerre , celle de 14-18. Ceux qui ont échappé aux massacres ont souvent des difficultés à raconter ce qu'ils ont vécu, l'horreur de cette existence pleine de morts, de souffrance et d'injustice étant difficilement imaginable pour nos contemporains. La terreur et le désespoir des tranchées, de la boue, du sang, sont toujours difficiles à raconter à ceux qui n'y étaient pas.

Et pourtant, un homme, un poète, a su transmettre, à travers ce qu'il voyait, ce qu'il vivait, l'absurdité de ces batailles où des millions de jeunes gens étaient envoyés à la mort comme du bétail. Par de rapides impressions écrites au moment où elles étaient vécues, Julien VOCANCE (1878-1954) nous a laissé son témoignage de la guerre de 14 dans un recueil intitulé "Cent visions de guerre" (une allusion au "Trente-six vues du Mont Fuji" du graveur d'estampes japonais Hokusaï). Utilisant avec efficacité la forme poétique du haïku, Julien VOCANCE a su adapter des techniques poétiques venue de l'autre côté du monde pour tenir, sous la mitraille et les bombes, un journal de guerre composé d'une succession de tercets qui racontent en visions brèves les trous d'obus, le sifflement des balles, les pauvres cadavres accrochés aux barbelés.

Certains de ces tercets sont restés célèbres. Ils retracent, en de courts tableaux, d'intenses moments de cette guerre atroce. Voici par exemple, en quelques mots, l'atmosphère étrange des heures de veille nocturne qui précèdent une attaque à l'aube :

Dans un trou du sol, la nuit
En face d'une armée immense
Deux hommes

Et puis, l'assaut est donné, un de ces instants terribles où tous les enfants de vingt ans sortent des tranchées et courent vers l'ennemi en hurlant, à découvert, au milieu des balles et des grandes.

La mort dans le coeur
L'épouvante dans les yeux
Ils se sont élancés de la tranchée

Une balle atteint notre poète. La blessure n'est pas grave, il s'en tire à bon compte et il va rejoindre "l'arrière". L'humour et la vie reprennent leurs droits :

Je l'ai reçu dans la fesse
Toi dans l'oeil
Tu es un héros, moi guère

Mais l'hôpital où Julien VOCANCE est soigné est aussi un lieu plein de mystère et de souffrance. Les fantômes d'une jeunesse sacrifiée errent dans les couloirs :

Ils ont des yeux luisants
De santé, de jeunesse, d'espoir
Ils ont des yeux en verre.

D'innombrables livres ont restitué l'atmosphère de ces sinistres années, et l'on pense ainsi aux célèbres "Croix de bois" de Roland DORGELES ou "War an deulin" de Y. BER KALLOC'H. Mais seule la poésie courte pouvait fixer dans nos mémoires la permanence douloureuse de ces années de mort. Le recours à la forme concise du haïku a permis à Julien VOCANCE de nous faire revivre quelques secondes, en une série de flashes, ce que fut l'enfer de cette véritable guerre civile.

 

Copyright Alain Kervern, 2000

Note personnelle de l'éditeur du site 'temps libres":

Cent visions de guerre est publié dans Le livre des Haï-kaï, poèmes de Julien Vocance (Joseph Seguin), Les Compagnons du Livre, 1983 ISBN : 2-90493200-8

L'édition originale (Bibliothèque du Hérisson, 1937) du livre était disponible sur http://www.chapitre.com en Octobre 2002.

 

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